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J'ai éprouvé des difficultés à photographier ma mère pendant ses années d'alitement à domicile, d'immobilité presque totale. Que raconteraient ces images ? Il ne s'y passait rien justement, sinon l'absence de tout évènement. 

Par des images vernaculaires retrouvées dans mes albums de famille ainsi que des photographies prises avant puis après son décès survenu en 2022, ce travail s'ancre dans l'expérience du "deuil blanc". Une forme de perte silencieuse, insidieuse, vécue lorsque l'on accompagne un proche atteint de troubles cognitifs. Pendant dix ans, j'ai été témoin de l'effacement progressif de ma mère, physiquement présente mais n'ayant plus la même présence mentale et affective que par le passé.
 
Le deuil, s'il s'ancre profondément dans l'intime, touche à une expérience universelle : celle de la perte, du manque, et de la nécessité de réinventer une présence malgré l'absence.
J'ai tenté, par l'image, de re-tisser le fil de ces années troubles et de cette perte ambiguë. Il s'agit de continuer à voir, à chercher, à tisser des liens malgré l'effacement.  Documenter une perte qui ne se dit pas, qui ne se voit pas toujours. Tenter de créer des images là où il n'y en avait plus. Apprendre à lire entre les silences, accepter de ne pas tout comprendre, tout en continuant à chercher, à aimer, à espérer.  Reconstituer des liens effilochés par la maladie, préserver une trace, lutter contre l'oubli. 
La recherche d'images dans les albums de famille poussiéreux s'est rapidement transformée en quête de "tomber sur quelque chose". Un mot, un indice, un détail révélateur, une trace qu'elle m'aurait laissée avant de s'absenter mentalement puis physiquement.  Je ne sais de quoi il s'agit. En attendant d'y parvenir, je me ré-approprie son image, la mienne, la notre.

L'île aux souvenirs

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Le 18 juin 2014, lors de mon épreuve de Littérature au baccalauréat, je me suis inspirée de toi.

En plus de la dissertation, j’ai rédigé une écriture d’invention en lien avec plusieurs romans de Stendhal, Flaubert, Zola et Proust. Ces œuvres ont en commun d’offrir une plongée profonde dans les pensées intimes de leurs personnages principaux.

Consigne :

Posté à une fenêtre, vous observez un lieu de votre choix. En vous inspirant, par exemple, des procédés employés dans les textes du corpus, rédigez la description détaillée de ce paysage, de façon à ce qu’elle reflète vos états d’âme.

J’ai imaginé une fête foraine animant la place du Cirque, juste en face de chez nous. Les bruits des manèges se sont peu à peu mués en une hallucination sonore : c’était en réalité la sirène du SAMU. Celle qui, à plusieurs reprises, est venue te trouver après tes chutes.

L’une des premières fois, tu avais dévalé les escaliers en peignoir. L’une des dernières, tu es tombée en tentant de te laver les pieds dans le lavabo de la salle de bain, vers 22 heures. Je n’ai toujours pas compris pourquoi tu as préféré cette méthode à un simple passage sous la douche. Ce soir-là, ta tête a tapé contre le carrelage. Beaucoup de sang. Papa n’a pas répondu à mes appels. Je ne sais plus si les enfants assis dans les manèges criaient ou si c’était moi.
J’ai eu 17/20. 

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"Il y a un temps où la mort est un événement, une ad-venture, et à ce titre, mobilise, intéresse, tend,  active, tétanise. Et puis un jour, ce n'est plus un évènement, c'est une autre durée, tassée, insignifiante, non narrée, morne, sans recours."

Roland Barthes, Journal de deuil. 

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