
J'ai éprouvé des difficultés à photographier ma mère pendant ses années d'alitement à domicile, d'immobilité presque totale. Que raconteraient ces images ? Il ne s'y passait rien, justement.
Ce travail photographique s'ancre dans l'expérience du deuil blanc, une forme de perte silencieuse, insidieuse, vécue lorsque l'on accompagne un proche atteint de troubles cognitifs. Pendant dix ans, j'ai été témoin de l'effacement progressif de ma mère, physiquement présente mais n'ayant plus la même présence mentale et affective que par le passé.
Le deuil, s'il s'ancre profondément dans l'intime, touche à une expérience universelle : celle de la perte, du manque, et de la nécessité de réinventer une présence malgré l'absence. Chacun y est confronté un jour, et c'est peut-être dans cette fragilité partagée que réside une forme de résistance commune.
J'ai tenté, par l'image, de re-tisser le fil de ces années troubles et de cette perte ambiguë. Il s'agit de continuer à voir, à chercher, à tisser des liens malgré l'effacement. Documenter une perte qui ne se dit pas, qui ne se voit pas toujours. Tenter de créer des images là où il n'y en avait plus. Apprendre à lire entre les silences, accepter de ne pas tout comprendre, tout en continuant à chercher, à aimer, à espérer. Reconstituer des liens effilochés par la maladie, préserver une trace, lutter contre l'oubli.
La recherche d'images vernaculaires dans les albums de famille poussiéreux s'est rapidement transformée en quête de "tomber sur quelque chose". Un mot, un indice, un détail révélateur, une trace qu'elle m'aurait laissée avant de s'absenter. Je ne sais de quoi il s'agit. En attendant d'y parvenir, je me ré-approprie son image, la mienne, la notre. Ce processus de création m'a fait prendre conscience que j'étais face à une violence plus souterraine : celle du temps et de la mémoire qui se dérobe.




"Il y a un temps où la mort est un événement, une ad-venture, et à ce titre, mobilise, intéresse, tend, active, tétanise. Et puis un jour, ce n'est plus un événement, c'est une autre durée, tassée, insignifiante, non narrée, morne, sans recours."
Roland Barthes, Journal de deuil.



















